Depuis 2007, le marché de l’énergie en France n’est plus un monopole. En électricité, EDF doit donc partager l’offre avec de nombreux fournisseurs apparaissant peu à peu depuis ces années. Toutefois, démanteler une situation de domination sur un tel secteur ne se fait pas du jour au lendemain. Ainsi, EDF n’était pas uniquement le seul responsable de la vente d’électricité toutes ces années ; mais en gérait également la production — notamment son volet nucléaire. Un état de fait difficilement solvable par la concurrence : d’où le dispositif ARENH, mis en place par la suite.
Le sigle ARENH signifie Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique. Il s’agit d’un procédé par lequel les fournisseurs d’électricité, alternatifs à EDF, peuvent acheter l’électricité produite par les centrales nucléaires — des centrales toujours sous la houlette d’EDF, à moyen terme. Toutefois, ce système repose sur un mécanisme complexe, notamment pour ce qui concerne la régulation du prix d’achat. Quels sont les enjeux du dispositif ARENH ? Une question détaillée ci-après.
Qu’est-ce que le dispositif ARENH ?
L’ARENH a vu le jour avec l’arrivée de la loi NOME, ou loi n°2010-488 du 7 décembre 2010 portant Nouvelle Organisation du Marché de l’Électricité. Cette réforme du nucléaire, et de l’électricité plus largement, s’inscrit dans un processus plus large : la Commission européenne est en grande partie à l’origine des contraintes ayant mené à l’adoption de la loi NOME. Les décrets d’application de cette loi ont vu le jour en mai 2011 ; et c’est de ce moment que date l’arrivée du dispositif ARENH.
Il est donc important de comprendre ce qui sous-tend l’ARENH. La loi NOME, dont dépend cette réforme, procède des travaux de la Commission Champsaur, mise en place en 2009. Cette commission a eu pour but de trouver des modalités d’accompagnement du marché de l’énergie ; un marché de l’énergie désormais soumis à la concurrence après 2007. Depuis lors, le dispositif ARENH a été éprouvé, et il montre certaines limites.
Définition de l’Accès Régulé à l’Énergie Nucléaire Historique
L’Accès Régulé à l’Énergie Nucléaire Historique est un dispositif instauré par l’État. Ce dernier, afin de valoriser la récente libéralisation du marché de l’énergie, devait donner des pistes aux fournisseurs alternatifs afin de s’approvisionner en électricité. De ce point de vue là, EDF est le plus grand producteur d’énergie nucléaire.
Cette situation monopolistique pouvait défavoriser les nouveaux opérateurs énergétiques. Ceux-ci devant acheter de l’énergie auprès d’un de leurs concurrents, le fournisseur historique EDF, ce dernier aurait pu augmenter les prix à la revente. C’est dans cette optique qu’apparaît l’ARENH : réguler les prix de l’électricité, afin de laisser libre cours à un marché concurrentiel, tel qu’annoncé par la loi NOME. Aujourd’hui, l’ARENH peut se révéler utile pour encadrer les offres de marché, lorsque celles-ci sont onéreuses.
La « rente nucléaire » : voici comment la situation de 2007 a été parfois qualifiée, notamment quant au fait que le secteur de production d’électricité par fission était encore largement assuré par EDF. Dans le contexte de libéralisation du secteur de l’énergie, il s’agissait d’une situation critique. Le nucléaire représente en effet encore plus de 70% du mix énergétique français ; et cette situation de monopole par EDF pouvait entraver la concurrence. Il faut savoir, en effet, que l’électricité nucléaire est parmi les moins chères à produire — surtout en comparaison des énergies renouvelables, encore difficilement rentables en regard de cette méthode historique. C’est le sens de l’action de l’ARENH.
Cela fait plus d’une décennie qu’existe le dispositif ARENH en France.
Le dispositif ARENH a donc débuté le 1er juillet 2011, et perdure encore à ce jour. Les décrets d’application de la loi NOME ont même introduit cette disposition dans le code de l’énergie : l’ARENH fait l’objet de l’article L336 de ce code (alinéas 1 à 10). Depuis lors, l’ARENH fait l’objet d’un rapport de force, notamment entre EDF et ses concurrents.
La Commission de Régulation de l’Énergie arbitre ce rapport de force, notamment au travers du montant du tarif ARENH, dont elle est responsable — un tarif difficile à arbitrer, puisqu’il est sujet à de nombreux paramètres. Toutefois, le but de l’ARENH reste avant tout d’assurer des marges pour les fournisseurs « alternatifs » ; afin qu’ils soient en capacité de se doter de moyens de production à part entière. Le partage des sites de production nucléaire n’est toutefois pas pour tout de suite.
Les heures ARENH et les mécanismes de ce système pour les fournisseurs
En pratique, les concurrents à EDF n’achètent pas de l’électricité nucléaire n’importe quand. Électricité de France propose en effet des « heures ARENH » : les professionnels peuvent bénéficier du tarif ARENH pour l’électricité lorsque leurs sites de distribution consomment pendant ces heures. Les horaires concernés sont différents selon la période de l’année.
Les 5 mois de novembre à mars : aucun horaire n’est prévu pour ce tarif.
Entre avril à juin, et de septembre à octobre : EDF assure une vente ARENH pendant les heures creuses (de 1h à 7h du matin) des jours ouvrés, et lors des week-ends et jours féries.
Pendant juillet et août : les heures ARENH sont applicables en continu.
Quelle importance le plafond ARENH a sur l’ensemble des prix d’électricité du marché ?
L’ARENH, bien que censé stabiliser le marché de l’électricité, peut avoir une influence sur ce dernier ; et en général, cela se fait à la hausse. Les situations d’écrêtement — comme c’est le cas en continu depuis fin 2018 — sont notamment critiques pour le marché. Les fournisseurs d’électricité, n’ayant pas obtenu le volume d’électricité ARENH souhaité, sont alors contraints d’acheter de l’énergie à prix de marché auprès d’autres sites de production, avec deux choix possibles, plus chers dans les deux cas :
les producteurs locaux ;
le marché de gros.
Puisque les coûts d’achat de l’électricité sont alors supérieurs pour les fournisseurs, le prix de vente auprès des consommateurs peut alors augmenter. Les fournisseurs sont également plus réticents à proposer des offres d’électricité à prix fixe, moins rentables pour eux.
Ce n’est pas tout : EDF aussi subit les effets néfastes de cette situation d’écrêtement. La Commission de Régulation de l’Énergie peut en effet obliger EDF à écrêter ses offres propres. Cela peut entraîner, dans le pire des cas, une montée des tarifs réglementés en vigueur de l’électricité. En d’autres termes, une situation de dépassement du plafond ARENH par les demandes des fournisseurs ne bénéficie à personne — ce qui a motivé la CRE à demander en 2020 un rehaussement du plafond en question, jugé actuellement peu adapté à la situation du marché français de l’énergie.
Le fonctionnement de l’ARENH repose en grande partie sur un principe d’offre et de demande. Les fournisseurs d’électricité autres que EDF et ses filiales font part de leurs requêtes quant à un certain volume d’électricité nucléaire dont ils auraient besoin pour leur offre, puis ces demandes reçoivent une réponse en fonction du plafond ARENH prévu ; ce sur quoi se base la mise en place du prix de vente de cette électricité nucléaire. Pour illustrer cela, il est possible d’examiner les demandes ARENH de 2020 et le prix qui en découle.
Le montant de demandes ARENH supérieur au volume maximal en 2020
Le volume global maximal d’électricité nucléaire prévu pour l’ARENH s’élève à 100 TWh — soit 25% de la production nucléaire d’EDF. Il s’agit d’un montant fixé par la loi ; le même depuis 2012, soit environ lors de l’introduction de ce dispositif. À noter qu’il est possible que cette somme évolue à l’avenir, notamment avec la refonte du secteur de l’électricité prévue par le projet Hercule.
En décembre 2020 pour l’année 2021, 81 fournisseurs d’électricité en tout ont demandé de l’électricité au titre de l’ARENH. Ce chiffre n’inclut pas les filiales dépendantes d’EDF, comme Sowee. Au total, les demandes ARENH cumulées de ces fournisseurs s’élèvent à 146,2 TWh ; soit un chiffre bien supérieur au plafond ARENH prévu.
Quel est le rôle de l’ARENH pour le marché de l’énergie, et la position d’EDF ?
La Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) a donc dû procéder à un écrêtement des demandes de chaque fournisseur, à proportion du dépassement du volume total. De fait, les fournisseurs ont obtenu chacun un volume d’électricité nucléaire à hauteur de 68,39% de ce qu’ils avaient initialement demandé. Ce chiffre de 68,39% correspond au mécanisme d’écrêtement effectué par la CRE : il s’agit du volume maximal (100 TWh) divisé par le montant total des demandes ARENH 2020 (146,2 TWh). La CRE a donc contraint EDF à écrêter le dispositif ARENH de 31,61%.
Dépassement du plafond ARENH pour la troisième année consécutive
Cette situation d’écrêtement des demandes ARENH n’est pas nouvelle. Depuis la fin 2018 et les requêtes au titre de l’ARENH pour 2019, le volume global des demandes excède en effet le plafond réglementaire prévu de 100 TWh. À titre d’exemple, en 2019 pour 2020, seuls 73 fournisseurs ont déposé des demandes ARENH ; dont le montant s’élevait alors à 147,0 TWh — un chiffre stable l’année d’après. La stabilité entre 2019 et 2020 peut s’expliquer par la crise sanitaire notamment : la baisse structurelle de la consommation a enrayé la hausse constante des requêtes ARENH depuis 2012.
Quel prix pour l’ARENH en 2020 et depuis lors ?
Actuellement, le prix actuel de l’ARENH — c’est-à-dire le prix de vente de l’électricité nucléaire par EDF aux autres fournisseurs qui demandent une part du gâteau — s’élève à 42€ par MWh, hors taxe. Ce tarif n’a subi aucune évolution depuis le 1er janvier 2012. Il a connu auparavant un niveau à 40€ par MWh entre le 1er juillet 2011 et cette date ; puis n’a plus bougé depuis, pour autant que le dispositif ARENH a duré. C’est la Commission de Régulation de l’Énergie qui fixe ce prix, en fonction de plusieurs facteurs, dont principalement les coûts de production de l’électricité nucléaire.
La plupart du temps, ce coût se situe bien en dessous des prix du marché pour l’électricité. Il y a donc certains moments où acheter de l’électricité ARENH peut s’avérer rentable pour les fournisseurs. Cela l’est beaucoup moins pour EDF, qui se trouve soumis à de fortes pressions financières d’ici à l’avènement du projet Hercule — notamment pour la rénovation de son parc de production nucléaire, une rénovation estimée à plus de 50 milliards d’euros dans les 10 prochaines années.
L’ARENH a pu répondre à une problématique précise, à un instant précis. Néanmoins, en dépit de ses avantages, de nombreuses critiques ont pu émaner de la part des producteurs et des fournisseurs d’énergie, conjointement. Par ailleurs, l’ARENH n’a pas pour vocation à perdurer plusieurs décennies après l’ouverture à la concurrence. De fait, nombre de voix se font entendre, demandant une refonte de l’Accès Régulé à l’Énergie Nucléaire Historique.
Sur quoi portent les critiques émises à l’encontre de l’ARENH ?
La Commission de Régulation de l’Énergie n’est pas l’unique acteur à pointer du doigt les défaillances de l’ARENH. La Cour des Comptes s’est jointe à ces critiques, pour relever le caractère peu soutenable pour les producteurs et les fournisseurs d’énergie de ce dispositif.
Les fournisseurs eux-mêmes revendiquent une refonte ARENH rapide. Même si les tarifs du dispositif leur permettent une garantie de rentabilité lorsque le prix de l’ARENH est inférieur au prix « spot » de l’électricité, le plafond ARENH ne les avantage pas quant à leur volonté de disposer d’une bonne part de l’électricité nucléaire, très rentable. EDF, de son côté, se retrouve souvent pénalisé lorsque l’électricité ARENH est plus chère que les prix de gros ; certains fournisseurs se détournent alors de ce dispositif, et suspendent leurs achats.
Trois fournisseurs se sont opposés à EDF concernant l’ARENH.
C’est ainsi qu’en juillet 2020, une bataille juridique a opposé EDF à trois fournisseurs alternatifs — TotalEnergies, Alpiq et Gazel. Ceux-ci, grevés par la crise sanitaire et ses conséquences économiques, ont alors suspendu leurs achats d’électricité ARENH auxquels ils s’étaient pourtant engagés, invoquant la pandémie de Covid-19 comme « cas de force majeure » constituant un motif légitime de suspension de leurs achats.
Loi énergie-climat de 2019 : changement possible de plafond pour l’ARENH
La loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, dite « loi énergie-climat », a prévu une nouvelle disposition relative à l’ARENH. Prenant acte des nombreuses demandes pour rehausser le plafond ARENH, cette loi permet au gouvernement d’utiliser des ordonnances pour modifier le code de l’énergie et relever le volume global d’électricité affectée à l’ARENH jusqu’à 150 TWh au lieu de 100 actuellement. Il s’agit d’un niveau plus proche des réalités des demandes ARENH depuis plusieurs années. Toutefois, aucune décision gouvernementale n’a entériné cette possibilité à l’heure actuelle.
L’ARENH, un dispositif transitoire qui a vocation à disparaître en 2025 ?
À la mise en route de l’ARENH, ce dernier est envisagé comme temporaire. Son champ d’application se restreint d’une part aux centrales nucléaires déjà en place au moment de l’adoption de la loi NOME en décembre 2010. Celles construites par la suite sont en effet l’objet d’autres dispositifs permettant une répartition de l’électricité produite entre les différents acteurs du marché énergétique. D’autre part, il est prévu que le dispositif ARENH dure uniquement 15 ans ; le mois de décembre 2025 prévoit donc l’arrêt de ce mécanisme de répartition du nucléaire.
D’ici à 2025, il est possible que l’ARENH fasse l’objet d’une refonte. Celle-ci doit accompagner le projet Hercule, un projet de segmentation de l’activité d’EDF en plusieurs pans ; cette réforme EDF globale est cependant encore largement en négociation, sur le plan national comme à l’échelle européenne.
L’enjeu pour la refonte à venir de l’ARENH est d’assainir les finances d’EDF, justement mises à mal par la gestion du parc nucléaire et la restructuration de ce dernier dans les prochaines années. Cette réforme est censée permettre à EDF d’assumer ses coûts de maintenance ; tout en assurant une salubrité du marché de l’électricité, aussi bien pour les consommateurs — qui n’ont pas intérêt à voir les tarifs d’électricité exploser — que pour les fournisseurs arrivant sur le marché.